A l'ombre des livres

Les modestes retours d'une lectrice enthousiaste.

Apaiser nos tempêtes

Jean HEGLAND
Phebus, 2021
Traduction: Nathalie BRU

Deux femmes, deux destins, deux Amériques. Ainsi peut-on résumer le nouveau roman de Jean Hegland. Regard d’une femme sur les femmes, la maternité, la féminité.
Nouveauté pour nous, cet opus a été publié en 2004 aux Etats-Unis.

Anna a 22 ans, étudiante aux beaux-arts, lorsqu’elle apprend qu’elle est enceinte. Cerise a 15 ans, collégienne, issue d’une famille monoparentale, lorsqu’elle fait la même découverte. Chacune va faire un choix qui aura des conséquences sur leurs avenirs.

A travers deux femmes de milieux diamétralement opposés, Jean Hegland interroge sur le fait de devenir mère. Sans jugement aucun, elle dresse le portrait de deux américaines qui vivent leur maternité de façon totalement différente. L’une est une intellectuelle, sa relation à la maternité est pensée, voulue, désirée. L’autre, plus défavorisée, devient mère par accident, mais a une relation intuitive, charnelle, presque animale envers ses enfants. Chacune répond à l’image de la mère voulue par la société: présente attentive, impliquée…

Au fil des pages, Jean Hegland décrit tous les sentiments qui rythment la vie d’une maman: la peur, l’admiration, l’incompréhension, la douleur… Elle retrace les sacrifices, les choix, le découragement aussi, sans fausse pudeur.

« Dans la seconde qui suivit, toutes les fautes de Cerise, tous les manquements en tant que mère, tous les défauts de son amour l’assaillir. Tout d’un coup, on aurait dit qu’elle se souvenait de toutes les réprimandes qu’elle avait faite à sa fille, de toutes les accusations qu’elle lui avait lancées. Elle se souvint de toutes les fois où elle avait dit non, de toutes celles où elle avait commis l’erreur de dire oui. Elle se souvint de toutes les démonstrations de son ignorance, se rappela son impatience, son épuisement, les millions de fois où elle n’avait pas été à la hauteur pour sa fille. Et elle sentit venir la honte causée par ce qui lui paraissait à présent la plus grande faute de toutes: sans savoir comment et sans l’avoir voulu, elle avait transmis à Melody ce besoin de se faire du mal, et même d’y parvenir. »

Elle libère ainsi une parole rare. Un témoignage de la maternité rarement lu, explorant ses recoins le plus intimes:

« Des lustres après avoir poussé tout ce qu’il y avait d’autre à éjecter de son corps – la merde, la bave, la pisse, l’espoir – , elle pousse de toutes ses forces une dernière fois, de tous ses muscles présents et passés. Elle trembla si fort qu’Eliot dut la maintenir pour qu’elle ne tombe pas. Elle pousse, et soudain, elle sentit que quelque chose cédait, elle sentit presque un soulagement exquis suivi d’un besoin désespéré de pousser encore.

– Voilà la tête, annonça quelqu’un. »

On retrouve dans ce roman, les engagements de l’autrice envers l’écologie. La scène d’ouverture décrit un arbre, seul sur le versant d’une colline, battu par les vents, le tronc fendu en deux, un coté de l’arbre mort, l’autre fleurissant. Un arbre d’un fort symbolisme, fil rouge de l’histoire, représentant les deux faces d’une femmes, de la nature et de la vie au sens le plus large: ce que l’on croit mort, détruit, peut refleurir au printemps suivant.

Cependant, au fur et à mesure de ma lecture, je n’ai pu m’empêcher de penser qu’il est très difficile, voir impossible de s’en sortir lorsque l’on est un mère célibataire aux Etats-Unis. Et cette forme de déterminisme social m’a quelque peu dérangé. Au point de me faire sortir de l’histoire.
Ce roman m’a rappelé que nous avions beaucoup de chance en France, des aides pour les mères célibataires, une large diffusion de l’information et la laïcité de cette information. En France nous pouvons faire des choix médicaux, non orientés, pour la poursuite ou non d’une grossesse. C’est une chance que l’on oublie parfois. Le manichéisme dont fait preuve Jean Hegland dans son roman aurait plus de mal à s’appliquer chez nous et c’est une chance.

Ainsi c’est avec un sentiment mitigé que je ressors de ce texte. Peut-être parce que Dans la forêt m’avait beaucoup touché et que j’avais de grandes attentes pour ce nouveau roman.
Peut être aussi que ce roman retrace des évidences qui l’étaient moins en 2004.
Il en demeure des passages sur les femmes et les mères très beaux et très émouvants. Une réflexion sur l’art également que je n’ai pas abordé, mais qui prend une place centrale. Mais le manichéisme des propos a fini par me lasser et m’éloigner du propos.

Et vous, l’avez vous lu? Qu’en avez-vous pensé?

Je vous souhaite de belles lectures. A très vite!