A l'ombre des livres

Les modestes retours d'une lectrice enthousiaste.

Là où chantent les écrevisses

Delia OWENS
Editions du Seuil, 2020
Traduction: Marc Amfreville

Aujourd’hui, je vous propose de nous rendre en Caroline du Nord et de découvrir le marais. Nous allons partir à la recherche de Kya, surnommée la Fille du Marais.
On dit d’elle que c’est une créature sauvage, analphabète. Les habitants de Barkley Crove la craignent.
Mais les apparences sont souvent trompeuses et les commérages assassins.

Kya est abandonnée dans le marais à l’âge de dix ans. Sa mère est la première à quitter la cabane familiale un jour de 1952, sans jeter un regard à sa fille. Puis ce fut ses frères et soeurs. Elle a vécu un temps avec son père alcoolique et violent, qui a juste eu le temps de lui apprendre les richesses du marais avant de disparaître à son tour.

Pa connaissait le marais comme un faucon sa prairie: il savait comment chasser, se cacher, faire fuir les intrus. Et les questions que lui posait Kya les yeux écarquillés le poussait à expliquer les saisons des ois sauvage, les habitudes des poissons, les changements de temps qui se lisent dans les nuages et les contre courants entre les vagues.

Kya doit apprendre à survivre, à grandir, à devenir une femme, à comprendre son environnement, seule. Ou presque. Elle fait la connaissance de Jumpy et sa femme Mabel à qui elle vend les fruits de ses pêches. Et Tate une jeune homme intrigué par la jeune fille et ouvert d’esprit.
En 1969, le cadavre de Chase Andrews est retrouvé dans la boue marécageuse.
La survie de Kya et l’enquête sur le meurtre sont menés en parallèle.

Ce roman a trusté les blogs et les pages Instagram lors de sa sortie et ne m’avait pas du tout tenté. Et pourtant…
C’est avec beaucoup de simplicité et d’érudition que Delia Owens, diplômée en zoologie et en biologie, dépeint la nature foisonnante du marais, rendant un monde méconnu presque magique.

Un marais n’est pas un marécage. Le marais, c’est un espace de lumière, où l’herbe pousse dans l’eau, et l’eau se déverse dans le ciel. des ruisseaux paresseux charrient le disque du soleil jusqu’à la mer, et des échassiers s’en envolent avec une grâce inattendue- comme s’ils n’étaient pas fait pour rejoindre les airs- dans le vacarme d’un milliers d’oies des neiges.
Puis à l’intérieur du marais, çà et là, de vrais marécages se forment dans des tourbières peu profondes, enfouis dans la chaleur moite des forêts. Parce qu’elle a absorbé toute la lumière dans sa gorge fangeuse, l’eau des marécages est sombre est stagnante. Même l’activité des vers de terre paraît moins nocturne dans ces lieux reculés. On entend quelques bruits, bien sûr, mais comparé au marais, le marécage est silencieux parce que c’est au coeur des cellules que se produit le travail de désagrégation. La vie se décompose, elle se putréfie, et elle redevient humus: une saisissante tourbière de mort qui engendre la vie.

Le champ lexical de l’ignorance parsème l’ensemble du récit. A commencer par Kya qui ne connait pas les raisons du départ de sa famille. Sa mère qui part sans se retourner, sans une explication, puis Jodi son frère préféré qui disparait à son tour. Tout les gens qu’elle aime l’abandonne sans raison ni explication.


Ensuite, les habitants de Barkley Crove qui vivent à proximité des marais sans connaître son biotope, le jugeant inhabitable et invivable. D’ailleurs ceux qui vivent dans les marais sont des prisonniers évadés, recherchés par la police, des noirs et … Kya Un endroit peu fréquentable en somme. Ces poncifs établis, les habitants de Barkley Crove ne cherchent pas à en savoir plus. Kya ne correspond pas à leur mode de vie, donc elle est sauvageonne, analphabète.
A l’inverse Kya s’appuie sur ce qu’elle regarde pour comprendre et apprendre. Pour évoluer. Elle se construit un savoir empirique du marais. Ce savoir va lui permettre de survivre, de se nourrir, de se cacher. Malheureusement, son savoir ne s’applique pas aux êtres humains.

C’est l’autre thème du roman, la question de la solitude, du rejet, de l’abandon et surtout de l’envie de découvrir l’autre. Enfant abandonnée, Kya ressent en grandissant le besoin d’être intégrée, aimée mais sans parvenir à annihiler les à priori qui pèsent sur elle.

Elle riait pour lui faire plaisir, ce qu’elle n’avait jamais fait pour personne. Renonçant à une partie d’elle-même rien que pour ne pas perdre sa compagnie.

Peut-on vivre sans les autres? C’est un peu l’interrogation sous jacente. Vivre avec les autres implique également la nécessité de faire confiance. Or avec son histoire personnelle c’est, pour Kya, quelque chose de très difficile. D’autant lorsque la population commence à l’accuser du meurtre de Chase Owens…

D’aucun pourront reprocher à ce roman des facilités, des invraisemblances, ce n’est pas faux. Il est stupéfiant de voir survivre une jeune fille de dix ans seule dans un marais infesté de hors la loi. Mais cela ne m’a pas perturbé. Je suis pleinement rentrée dans l’histoire de Kya et j’ai accepté ces petits défauts. Il ne faut perdre de vue que c’est un premier roman et je l’ai trouvé émouvant bien écrit. Il mérite amplement les excellentes critiques dont il a fait l’objet.

Retournant vers le cycle immuable de la vie des têtards et le ballet des lucioles, Kya s’enfonçât plus profondément encore dans un monde sauvage où les mots n’avaient pas cours. La nature semblait le seul galet qui ne se déroberait plus sous ses pas quand elle traverserait un ruisseau.

Et vous, l’avez-vous lu? Qu’en avez vous pensé?